« Le sort des libraires est lié à celui des centres-villes »

Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la Librairie, revient avec nous sur les problématiques et les enjeux auxquels sont confrontés les libraires aujourd’hui. Avec un œil attentif sur l’évolution du commerce de centre-ville et le développement de l’ogre Amazon.

A l’occasion du salon Livre Paris, votre syndicat a traduit une étude américaine accablante sur le modèle économique d’Amazon. L’entreprise américaine est-elle aujourd’hui un danger pour la pérennité des libraires français ?

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Si nous avons choisi de traduire cette étude, c’est pour montrer qu’Amazon représente un danger non seulement pour les libraires, mais également pour l’ensemble de notre société. Le rapport se nomme d’ailleurs “Comment la pieuvre Amazon menace-t-elle notre société ? ». Ce que l’on a voulu montrer à travers cette initiative, c’est que tout le monde est impacté par l’emprise qu’Amazon est en train de prendre dans notre économie. En un sens, c’est un message d’alerte qu’on lance aujourd’hui à la population et aux pouvoirs publics.

Pourquoi spécifiquement Amazon et non les autres sites de vente en ligne ?

Que l’on soit clair, nous n’avons absolument rien contre la concurrence qui est indispensable pour le bon fonctionnement de toute société. Le problème d’Amazon c’est que ce n’est pas un concurrent comme un autre dans la mesure où il aspire à devenir lui-même le marché. L’étude américaine le souligne d’ailleurs très justement, la stratégie d’Amazon c’est de casser les prix jusqu’à un tel point qu’au final les concurrents n’existent plus. Et pour parvenir à leurs fins ils sont prêts à aller très loin, quitte à perdre de l’argent pendant plusieurs années. On voit bien dès lors qu’il s’agit d’une concurrence totalement déloyale puisque aucun autre acteur de la librairie n’est capable de suivre une telle stratégie, même des grandes enseignes ou Pure players comme la Fnac ou PriceMinister.

« Plus nous serons nombreux au syndicat et mieux nous pourrons défendre nos intérêts »

Heureusement en France nous sommes protégés par la loi grâce au prix unique du livre, qui permet à la fois de maintenir un plus grand nombre de titres et de sauvegarder les librairies indépendantes. En effet, les indépendants ne pourraient pas soutenir une concurrence par les prix avec les grandes chaînes de librairies et les sites de vente en ligne, à l’image… d’Amazon, qui tente d’ailleurs d’imposer la fin du prix unique. Si ce dispositif est supprimé, c’est l’ensemble des acteurs français du livre qui en pâtiraient, des éditeurs, aux libraires en passant par les auteurs. L’enjeu est donc très important, d’autant plus que le livre ne peut être considéré comme un bien comme un autre, dans la mesure où il remplit une fonction économique certes, mais surtout culturelle. Ces lois qui sont spécifiques à notre secteur d’activité, il faut constamment les défendre, c’est aussi pour cela qu’il est important de rejoindre le Syndicat de la Librairie. Car plus nous serons nombreux et mieux nous pourrons défendre nos intérêts.

Pourtant, malgré cette législation protectrice, Amazon ne cesse de gagner des parts de marché. Quelles stratégies peuvent mettre en place les libraires indépendants pour tirer leur épingle du jeu ?

Tout d’abord, je pense que le plus important est que l’on continue à bien faire notre métier. Contrairement aux sites de vente en ligne où l’on sait souvent à l’avance ce que l’on vient acheter avant même de s’y rendre, la mission d’un libraire est justement de donner envie de lire, de faire découvrir un auteur, un nouvel univers… Le travail de sélection et de conseil est ainsi au cœur de notre métier et je pense qu’il va continuer à le rester car les gens ont toujours besoin d’humain. Tout ce qui est lié à l’événementiel et l’animation en magasin, qui peut être par exemple d’inviter régulièrement des auteurs, constitue également un facteur important afin de faire vivre le point de vente.

Le deuxième aspect concerne notre présence sur internet, car aujourd’hui on ne peut pas se permettre d’être absent de ce canal de distribution. Mais il faut que l’on se rassemble si l’on veut pouvoir peser face aux gros acteurs du net. C’est pour cela que nous avons lancé au Syndicat de la Librairie le site www.librairiesindependantes.com, qui rassemble l’offre de plus de 800 libraires français. Ce dernier fonctionne à l’image d’un moteur de recherche : vous entrez le nom du livre que vous recherchez et le site vous génère en retour une liste de librairies qui le commercialise. Vous pouvez alors passer directement commande sur le site de vente en ligne du libraire que vous avez sélectionné, avant de vous faire livrer à domicile, de la même manière que sur n’importe quel autre site e-commerce. Alors certes, il est possible que le délai de livraison soit un peu plus long par rapport à ce que propose aujourd’hui Amazon. Mais bon honnêtement, cela vous arrive-t-il souvent d’avoir besoin urgemment d’un bouquin ?

On entend souvent ces derniers temps que la librairie est un secteur qui souffre, que son avenir est assombri par l’essor de la vente en ligne et la lecture numérique. Cette impression est-elle fausse ?

Il faut le reconnaître, de nombreux acteurs du secteur font face à des difficultés, mais il n’y a pas que des problèmes non plus. Preuve en est le fait que l’on recense aujourd’hui autant de libraires qu’il y a 20 ans, entre 3200 et 3300 en France, avec une fréquentation qui elle aussi est restée stable. La spécificité de notre activité est que de tous les commerces de centre-ville, la librairie a la rentabilité la plus faible. Cette situation s’explique par la conjugaison de deux facteurs : le niveau des charges et le prix des loyers n’ont cessé de grimper ces dernières années, alors que de son côté le chiffre d’affaires en magasin a stagné. Et une librairie a besoin de beaucoup de personnel pour pouvoir fonctionner correctement. La deuxième raison tient quant à elle à l’essence même de notre profession : c’est un métier de passionné et qui demande un engagement très fort, on n’ouvre pas une librairie par hasard. Ce qui fait que nombre de libraires poursuivent leur activité malgré une rentabilité presque nulle, là où d’autres commerçants auraient certainement déjà jeté l’éponge.

« Le niveau des charges et le prix des loyers n’ont cessé de grimper ces dernières années, le chiffre d’affaires beaucoup moins »

Pour ce qui est de la lecture digitale, je ne pense pas que cela représente un danger. Cela fait maintenant plus de 20 ans que l’on nous parle de la fin du papier avec le livre numérique, et la prophétie ne s’est jamais réalisée. Au contraire même, on observe même un retour en arrière dans certains pays comme aux Etats-Unis, où le digital avait pourtant commencé à prendre une certaine importance, et maintenant les gens reviennent à un format plus classique. En France, la sauce n’a pour le moment jamais vraiment prise, avec une part de marché qui se stabilise autour de 3%, et ce alors même que ce format est souvent vendu moins cher.

Il y a enfin la problématique des centres-villes, avec nombre d’entre eux qui connaissent des difficultés, comment vous positionnez-vous face à cette situation ?

Cela fait bien entendu partie de nos principales préoccupations aujourd’hui, étant donné que 98% de nos adhérents sont des commerçants de centre-ville ! C’est donc peu dire que l’avenir de notre secteur est étroitement lié à celui de nos cœurs de ville. Nous soutenons en ce sens toutes les initiatives qui visent à sauvegarder leur vitalité. Nous avons également appuyé la proposition de l’association Centre-Ville en Mouvement, qui défendait l’instauration d’un moratoire sur la construction de nouvelles zones commerciales périphériques.

Lire aussi : Qui sont les clients des librairies indépendantes ?

Il est impératif aujourd’hui de mettre fin à cette logique démentielle consistant à construire toujours plus, et qui n’enrichit personne d’autre que les promoteurs immobiliers et leur vision purement financière du commerce. Investissons au contraire sur le centre-ville, qui regorge de commerçants avec une âme, des savoir-faire et entretiennent un véritable tissu social partout en France.

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